4/26/2007

Le drame d'un mercredi ordinaire

Par un mercredi matin ordinaire, votre fils vous souhaite une bonne journée : "Bye m'man!" dit-il sur le ton typique de l'adolescence en filant pour l'école. "N'oublie pas ton lunch, mon chéri!" et vous courez derrière lui pour lui rendre son petit sac brun rempli d'un sandwich, de bâtonnets de carrottes et d'un yogourt. Vous en profitez pour lui voler un petit bisou sur le front et vous le regardez disparaître au coin de la rue.

À l'heure du lunch de ce même mercredi ordinaire, il se retrouve impliqué dans une bagarre avec un camarade de classe. Et puis v'lan, le dit camarade en question lui assène un crochet droit sur la tempe et votre fils tombe, inconscient. Quelques heures plus tard, votre adolescent rend l'âme.

Ce matin-là, c'était la dernière fois que vous entendiez son "Bye m'man!" et même s'il vous agaçait par sa nonchalance, vous voudriez le réentendre en stéréo pour l'éternité. Il n'a peut-être même pas eu le temps de manger le sandwich que vous lui aviez tendrement préparé. Il n'a pas eu le temps de ranger sa chambre. Il n'a pas eu le temps de revoir son frère, sa soeur ni son père ou sa meilleure amie. Il n'a pas eu le temps de finir son devoir de mathématique ni son projet de biologie. Il s'est écroulé en laissant derrière lui une oeuvre inachevée.

Celui que vous avez tenu dans vos bras à la naissance, celui que vous avez câliné, nourri, embrassé, aimé, bercé, n'est plus. Ce petit bambin à la frimousse joyeuse qui sentait la poudre de bébé après le bain, ce petit bout d'homme qui courait dans toutes les directions, ce petit monsieur-sourire qui vous charmait par sa curiosité, ce petit bonhomme qui grandissait trop vite est mort au printemps de la vie, avant même d'avoir pu devenir un homme.

C'était un accident, un geste gratuit, un geste de violence ordinaire comme il y en a peut-être eu des centaines ailleurs ce jour-là. Mais c'est votre fils qui a reçu le coup fatal et vous ne pouvez rien y faire. Plus jamais vous ne respirerez l'odeur de sa chevelure, plus jamais vous ne verrez la beauté de son âme dans son regard, plus jamais vous ne l'entendrez rêver tout haut, plus jamais...Il ne vous reste qu'à inventer une manière de survivre, à vous raconter une histoire plausible pour, un jour, accepter ce triste sort.

Ce soir, j'ai serré mon fils très fort avant de le mettre au lit. J'ai peut-être l'anxiété facile, mais je vous jure que j'ai été hantée par cette histoire toute la journée. Et si c'était mon fils?

Je n'ai pu m'empêcher de penser très fort à tous les parents de ces jeunes collégiens qui sont tombés sous les balles d'un tueur fou en Virginie la semaine passée. Mes pensées ont aussi accompagné les parents de ce bambin de Drummondville qui a failli se noyer dans un bassin décoratif et qui, aux dernières nouvelles, luttait encore pour sa vie. Puis, il y a cette Américaine, Christine McFadden, dont les quatre enfants ont froidement été abattus par son ex-mari il y a cinq ans. Son récit m'a donné des sueurs froides tandis que son courage me stupéfie. J'ai pensé à tous ces autres parents qui ont eu à vivre la mort de leur progéniture. Comment fait-on pour survivre à une telle horreur? Quand on donne la vie, il faut implicitement accepter qu'on donne aussi un peu la mort, disent certains. Est-ce possible de s'en convaincre? Donner la vie, c'est prendre un risque. Peut-on pleinement et consciemment assumer ce risque? Et qu'en est-il si c'est votre fils qui s'est transformé en meurtrier? Que son geste soit prémédité ou non, comment fait-on pour survivre à ça?

Je tiens à transmettre mes condoléances aux parents, à la famille et aux amis-es de Jean-Benoît Beaulieu de Trois-Pistoles, décédé à 14 ans à la suite d'une bagarre. Je pense très fort à vous tous.

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