9/22/2007

La guerre des mères

Aux États-Unis, des mères de famille se livrent un combat sans merci sur un sujet on ne peut moins controversé : les mères devraient-elles rester à la maison avec les enfants ou travailler? Dans les médias, on a vite fait de désigner ce débat la " Mommy Wars " ou la guerre des mères.

Le sujet n'est pas nouveau et je l'ai souvent abordé dans ce blogue. Je crois toutefois qu'il n'est pas futile d’en parler à nouveau, surtout depuis que j'ai lu cette
lettre ouverte d'une mère au foyer dans le journal local. Selon cette dame, notre société est bien malade si nous nous préoccupons tant d'obtenir un service de garde dès les débuts de la grossesse. À quoi bon faire des enfants si c'est pour les confier ensuite à une gardienne? À son avis, il serait de la responsabilité de chacun de prévoir ses finances de manière à pouvoir se passer d'un salaire une fois que les petits sont nés. À ses yeux, tous les parents dont le père et la mère travaillent, sont des super consommateurs, habitent tous des châteaux et collectionnent les voitures neuves et les téléviseurs.

Tout le monde a le droit à son opinion, mais ce qui m'inquiète dans ce discours, c'est l’idée à peine voilée que les services de garde ne devraient pas être financés par la collectivité. Le raisonnement de cette dame s'appuie sur l'idée qu'il est possible de rester à la maison si on accepte de sacrifier un peu son confort. Par conséquent, si vous continuez de travailler, c'est que vous avez les moyens de vous payer un service de garde au plein prix. Toujours selon ce raisonnement, pourquoi la collectivité contribuerait-elle avec ses impôts à un réseau de services de garde si on peut démontrer qu'un deuxième salaire n'est qu'accessoire? Et si vous poursuivez votre carrière pour répondre à des aspirations personnelles, cette dame vous répondra probablement qu'elle n'a pas à financer votre vil besoin de vous réaliser, que c'est votre "choix" personnel. Voyez-vous la "twist" dans ce raisonnement?

Si cette lettre ouverte dans un journal local peut sembler inoffensive, elle reflète néanmoins l'un des axes de la "Mommy Wars" chez nos voisines du sud. Parmi les représentantes du courant ultra-conservateur se trouve
Phyllis Schlafly, une militante, vertement opposée à l’émancipation des femmes dans les années 1960 et 1970. Fondatrice du Eagle Forum, un mouvement dédié aux politiques pro-familiales, Mme Schlafly prétend défendre les véritables droits des femmes, notamment de rester à la maison en tant qu’épouse et mère.

Derrière ce raisonnement incarné par la droite américaine se trouve l’idée
que les mères ont l’obligation morale de rester au foyer pour s’occuper de la progéniture parce que c’est la volonté de Dieu. Et selon ce raisonnement, celles qui veulent s’émanciper et travailler sont des brebis égarées, des "féministes matérialistes".

La rhétorique de l’auteure de la lettre ouverte ressemble en plusieurs points aux aux idées avancées par Probe Ministries, une église évangélique américaine ultra-conservatrice, un " christian think-tank " de Dallas au Texas et reconnue pour dénoncer publiquement le mouvement
féministe.

Sur son site Internet, dans une foire aux questions destinée aux fidèles de cette église, les grands manitous répondent aux questions de pseudo-fidèles. À la question " Should a woman work or stay at home with the children? ", Sue Bohlin, l’épouse du président actuel de Probe Ministries,
Raymond G. Bohlin , répond. Voici un extrait de sa réponse :


God's plan is that we all work. It's a sin to be a lazy do-nothing. The question isn't about working or not working, it's WHERE you work and how you get paid. The other question is, will your children suffer because you work? Or does the fact that you work mean your children will have food to eat and clothes to wear? It's not a cut-and-dried answer. What you need to do is what God leads YOU to do after praying and seeking His face.

I heard a pastor say on the radio recently that a young mother came to him and said, "I would love to stay home and care for my toddler, but I have to work. We don't have enough money for me to stay home." He had occasion to visit her and was stunned; they lived in a large, new home, with two late-model luxury vehicles in the driveway. Their problem wasn't that they didn't have enough money for her to be her child's caretaker; their problem was that they had chosen a standard of living that put things above people. If they moved to a smaller house and older, less expensive cars, they could have done it.

Ce qui m’inquiète dans les propos de l’auteure de la lettre ouverte, c’est l’effort qu’elle met pour démontrer qu’il est possible de vivre avec un seul salaire et que les parents responsables feront des choix conséquents pour s’assurer que la mère (plus souvent que le père) restera à la maison. Or, si l’un des deux salaires est superflu, à partir de quel moment l’est-il? Et au delà des simples considérations économiques, qu’en est-il du simple désir de travailler pour se réaliser professionnellement?

Qui va décider que mon salaire est accessoire?

Ici, au Québec, le discours de cette dame n’a pas encore atteint l’arène politique et puisque la majorité des mères québécoises ont un emploi rémunéré, ces idées tarderont peut-être à gagner en popularité. Or, chez nos voisines du sud, ces questions sont au cœur d’un débat houleux qui divise les mères de la droite et les autres, plus modérées ou carrément de la gauche.

Plus près de nous, en Alberta, le
courant néo-conservateur (pdf) soutient qu’en développant des services de garde publics pour favoriser l’émancipation des femmes, on déresponsabilise les mères face à leurs enfants. Ainsi, le développement de services de garde est perçu essentiellement comme un soutien aux familles défavorisées et non comme un moyen d’aider les mère à conserver leur emploi ou à poursuivre leur carrière.

Et c'est précisément le message que tente de passer l'auteure de la lettre du journal local, tout comme l'ont fait avant elle les apôtres de
Phyllis Schlafly et toutes celles qui continuent d'appuyer cette vision ultra-conservatrice.

PS : Si vous croyez que les mères qui restent à la maison et qui défendent avec conviction leur choix n'existent pas au Québec, parcourrez la blogosphère et vous trouverez de nombreux témoignages de la sorte. En voici
un exemple.

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